Qui suis-je ?

Je trottine dans le centre-ville depuis ce matin. Je ne suis pas vraiment triste, juste un peu paumé et j’ai mal au ventre. Il faut vraiment que je trouve quelque chose à grignoter… Tout à l’heure, je suis entré dans un cinéma, sans que personne ne s’en aperçoive. J’ai bien remarqué que des gens attendaient, parlaient, riaient. Ils m’ont laissé passer sans broncher, comme si je n’existais même pas. Je dois être trop petit pour qu’on me remarque. Oui, c’est sûrement çà.

De nouveau dans la rue, je marche à vive allure, enveloppé d’odeurs de cuisine, des saucisses, on dirait, ou un truc comme çà. Qu’est-ce que je donnerais pour avoir un bon repas ? Je me faufile et pénètre discrètement dans un restaurant bondé de monde. Hop ! me voici non seulement à l’intérieur, mais sur un siège rouge et rembourré, très confortable. Il reste une assiette avec de la nourriture, je la mange et aussi secrètement qu’en arrivant, je sors tout de suite et m’enfuis en courant le plus loin possible.

Bon, maintenant il faut que je me repose mais où ? Tiens, là-bas, dans ce square… Je vais tenter ma chance.

Je ne sais pas depuis combien de temps je dors mais, quand je me réveille, je sens mon corps tout engourdi. Je m’étire en jetant un coup d’œil autour de moi. Il n’y a plus personne, tout le monde est parti sans que je m’en aperçoive. Il doit être tard. Je pense à ce maigre repas que j’ai trouvé tout à l’heure et me dit que sans lui, je serai peut-être mort de faim à l’heure qu’il est.

Je décide de reprendre la route et c’est quelques heures plus tard que je fais la connaissance de cette famille sympathique. Le père est un peu bourru, mais la mère est très belle et souriante et surtout, elle sent tellement bon ! Les enfants m’ont tout de suite très bien accueilli et cela me réchauffa le cœur. Quand ils m’ont vu m’approcher d’eux, la fillette m’a tout de suite souri et je vis dans son œil que je ne lui étais pas indifférent. Je choisis donc de m’asseoir près d’elle mais le père n’est pas du même avis. Il me regarde et je devine immédiatement qu’il faut que je parte, en tous les cas, que je m’éloigne de sa fille.

Clémence, obstinée, insiste tellement que son papa accepte finalement que je reste près d’eux. La maman, dont le prénom est Dorine, approche et sort plein de nourriture de son grand sac. Mes yeux s’illuminèrent à la vue de toutes ces bonnes choses et, à cette seconde, je bénis Dorine. Bien évidemment, j’aurais préféré les plats chauds de la brasserie de tout à l’heure mais c’était quand même bien bon. Il y avait des sandwiches variés, mais désolé, j’ai laissé la salade et la tomate. Il y avait aussi du fromage et surtout….. du saucisson. Et là, ce fut l’apothéose ! Dorine alla même jusqu’à me proposer à boire. C’est pendant que je buvais que je m’aperçus combien j’avais soif, si soif.

Pendant que je mangeais comme un glouton, la petite Clémence ne me lâchait pas et s’évertuait à me raconter sa vie. Elle vivait à Hazebrouck, allait à l’école, elle racontait les métiers de ses parents, où ils allaient en vacances, ce qu’elle aimait comme musique… Ce que je vivais à l’instant était inespéré, que quelqu’un s’intéresse à moi, me donne à manger. J’étais si heureux.

C’est à ce moment-là que cet homme musclé s’est avancé sur moi et que tout a basculé. Vraisemblablement, il veut m’emmener et je n’ai pas le choix. Je me débats, je réussis plusieurs fois à lui échapper. Il court très vite et à l’aide d’un engin, il réussit à m’attraper.
Je tente autre chose, glisse dans une espèce de gadoue immonde. Oh la la, je suis dégoûtant maintenant. Que vont dire Clémence, Dorine et le reste de ma famille ? çà y est, je m’attache, je l’appelle, ma famille !

Puis, je me sens soulevé, emporté, j’ai l’impression que mon âme éclate en mille morceaux. Clémence n’est pas du tout d’accord. Elle se met à pleurer et à tirer sur le pull-over du monsieur. Bref, la panique.

Je ne peux plus respirer tellement son bras me fait mal et m’empêche presque de respirer. Il s’approche de son véhicule, sort ses clés et tente de me faire pénétrer à l’arrière de la voiture. C’est à cet instant que je réussis à me sauver. Je suis libre, je cours comme une gazelle et il est impossible de me rattraper.

Je tourne dans tous les sens, ne sais plus dans quelle rue aller, revient sur mes pas sans m’en apercevoir. J’ai peur, tellement peur. Puis une voix que je reconnais me parvient aux oreilles : « Regarde Papa, tu avais raison, il est là. Comme je suis contente. Viens mon chien, viens me voir, n’aie pas peur…. On le garde, hein papa ?? On le garde ? »

Et là, papa répond oui et pour sûr, dans ma vie de chien, je crois que je n’ai jamais été aussi heureux.